Graffitologie
En voilà un mot qu’il est bizarre !
Je m’apprête à vous parler d’un sujet épineux, un peu délicat, sur un fait de société que beaucoup ignorent mais que beaucoup côtoient, tous les jours. Surtout les urbains comme moi. Vivre aujourd’hui en ville implique d’être confronté directement ou indirectement à l’incivilité des uns et des autres. En voiture, en transport en commun, entre voisins, au bureau… chaque contexte donne lieu à son lot de gênes occasionnées.
Le graffiti, et le tag en particulier peut susciter un sentiment de malaise et d’anxiété lorsqu’un individu lambda y est confronté, car il est associé à une culture qui reste encore méconnue du grand public. Associé au Hip-hop depuis la naissance de ce dernier, le graffiti a une vie en soi, indépendante de toute mouvance culturelle ou musicale. Sans vouloir rappeler ici l’histoire de ce dernier, il est important de souligner qu’aujourd’hui les amalgames ne sont plus aussi évidents qu’avant. L’esprit et les valeurs communs d’hier se sont dissipés à travers le temps et les chemins différents empruntés par les protagonistes des disciplines sœurs d’avant ont tracés leur voie.
Le graffiti ne fait plus référence au rap et vice et versa. L’esprit commun d’hier n’est plus car les mentalités ont évoluées et comme le disait tonton David, chacun sa route chacun son chemin… Cependant le graffiti est toujours perçu comme la représentation sauvage, anarchique du hip-hop dans l’inconscient collectif. Une image pas toujours glorieuse aux vues de ce qu’est devenu le rap aujourd’hui… bien que personnellement grand adepte du hip-hop de la fin des années 80 à la fin des années 90, je ne peux m’identifier aujourd’hui dans ce qu’il est devenu.
Avec le recul des années, la maturité se faisant plus présente, je me suis beaucoup questionné sur les fondements et la légitimité de ce que je faisais. Parfois la culpabilité de participer à un climat d’insécurité et d’incivilités dans la société m’a fait réfléchir à l’utilité de mes actions et de mon appartenance à une « communauté » qui enfreint les lois et les interdits et m’associe à un comportement puéril et stérile dont les codes ne sont basés que sur l’égocentrisme et la surenchère. Cela n’aide pas forcément à briller en société ! Il est plus flatteur de dire que l’on est artiste que vandale c’est un fait. Cependant je reste profondément amoureux du graffiti, de sons essence, de sa liberté, de sa diversité, de ses lois et de son côté insaisissable. Il représente le plus grand mouvement artistique de tous les temps ! C’est indéniable, aucun autre mouvement n’a jamais autant conquis le monde, de par ses adeptes, ses supports, ses styles… un engouement en perpétuelle croissance qu’il est forcé d’admettre. C’est pourquoi on ne peut continuer à confondre le graffiti avec le rap ou le hip-hop. Ceux qui prétendent que le graffiti en est une discipline indissociable ne vivent pas dans le monde actuel. À une époque certes, bien que présent avant, le graffiti a pu faire partie de ce courant, mais sa liberté intrinsèque en a fait un élément à part.
Où en sommes nous alors aujourd’hui ? Qu’en est-il de ce plus grand mouvement artistique de tous les temps ? Je dirais que c’est une communauté avant tout, un vecteur de rencontres, de partages, de traits communs à des personnes en quête d’identification dans la société. Car au delà des apparences, les personnes qui pratiquent le graffiti sont le plus souvent des individus en recherche identitaire. Il y a une difficulté à s’identifier aux profils classiques sociétaux, à s’intégrer dans une société au format de vie classique. Mais aussi une difficulté à s’assumer en tant qu’être humain noyé dans la masse et l’anonymat. Un paradoxe un peu schizophrénique car le but ultime du graffiti est bien la notoriété anonyme ! Être partout aux yeux de tous sans que personne ne sache qui on est … c’est le vrai game. Souvent marginalisé, l’artiste graffeur peine à trouver la reconnaissance qu’il cherche dans la société. Pas sous la forme d’artiste reconnu mais sous la forme de citoyen à part entière. Enclin souvent à des problèmes psychologiques, d’alcool, de drogue, d’égocentrisme exacerbé, de violence, il est difficile pour lui de s’affirmer dans sa singularité artistique car au final le carcan de cette mouvance fini par emprisonner l’artiste dans des codes réducteurs.
En cela le graffiti et l’art dans la rue (et non pas le street art) représentent un véritable vivier d’artistes potentiels. C’est une véritable école d’art, chaotique et désordonnée, mais tellement pleines de vérité et de sincérité. En ce terme d’artiste je veux exprimer les qualités essentielles pour être un vrai artiste, la réflexion, la démarche, la maîtrise et le dévouement. Et dans le graffiti chaque acteur approche de plus ou moins près ces préceptes, et lorsqu’il les embrasse tous, alors il devient le véritable artiste qu’il doit être, et se détache de par sa singularité de cette communauté qui l’a vu naître. C’est comme un enfant qui devient grand et quitte le foyer familial pour vivre sa propre vie car le désir d’affirmation est trop grand.
Cette analogie est intéressante afin d’analyser le positionnement d’artiste plus ou moins accomplis. Le fait d’être enfermé dans les codes établis du graffiti et de ne pas arriver à en sortir montre un manque de recul sur soi et une créativité prisonnière d’une image d’Épinal stéréotypée. L’artiste en est réduit alors à un mimétisme mainte fois reproduit et se noie tout seul dans sa pratique aveugle et impersonnelle de la discipline. Ce qu’il est important de déplorer, c’est que le graffiti en soi ne pourra jamais être considéré comme un art majeur à l’égal de l’art contemporain car sa spontanéité, sa diversité, son manque de fond et sa gratuité en font un art trop populaire et futile. C’est toute l’ambivalence de ce mouvement. Tous les graffeurs qui ont réussis à devenir de véritables artistes sont ceux qui ont su sortir leur épingle du jeu en exploitant à fond la petite différence qui les démarquaient de leurs pairs.
Donc n’ayez plus peur du graffiti, il n’est pas là pour vous rappeler que la société est dangereuse, il y a les médias pour cela. Il n’est que la manifestation d’un terrain de jeu planétaire d’une poignée d’individus en mal d’existence dans une société anxiogène. Un jeu avec ses règles, ses codes, et ses leaders. Une pépinière d’artistes en devenir qui feront l’art contemporain de demain, si du moins ils arrivent à en sortir vainqueur, car le piège est de ne pas tombé dans une professionnalisation de décorateur ou dans un acharnement aveugle emprisonnant, et c’est ce qui peut arriver à beaucoup d’entre nous. Toute cette réflexion est subjective et n’appartient qu’à moi, mais je pense avoir assez de recul et d’expérience dans le domaine pour en donner un avis objectif. Maintenant que vous avez un autre regard sur le graffiti, j’essaierai dans le prochain article de comprendre ce qu’il représente aujourd’hui au sein de l’Art et de son marché, en mettant en lumière son influence et sa présence…
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